jeudi 28 janvier 2010

Postes post-modernes privées

Pour acheter la biographie de Giuni Russo que vient de publier Maria Antonietta Sisini, le plus pratique, c'est la FNAC italienne par internet.

Clic clic, à 19 heures, j'ai commandé. C'est UPS (le mastodonte américain) qui est à l'oeuvre.

Intérêts privés, procédures et automatisation : à 21 heures mon cofanetto ultradésiré est à l'aéroport de Milan. A 1 heure il est à Lyon, et à 7 heures, je peux le voir en temps réel, il est dans un hangar à la Farlède, à six kilomètres de moi. Formidable, non ?

Sauf qu'après avoir fait toute la distance en une nuit, pour venir de la Farlède à moi, il a fallu six jours : alloooo, vous n'êtes pas chez vous ? Non, non, laissez le colis à Madame Oliva au premier, Heeeeuuuu je n'ai pas de temps aujourd'hui (cris d'enfants dans le fond), alllloooo c'est où chez vous !!!!!!! je vous l'ai déjà dit et c'est sur votre ficheuuuuu, à demain ..... je peux le livrer là où vous travaillez ? Oui, oui, ........ C'est que vous comprenez il faut que je le remette en main propre. Ah bon ?

Je sors d'une réunion, et mon Anne Sophie me dit il y a un colis sur votre bureau, il y a un Monsieur qui a voulu que je signe.

Je reçois un mail "nous avons remis votre colis à ANN SOHIE".

Bon, je suis quand même content, je passe mon temps à me chauffer à ce timbre de voix qui es allé si vite de Milan à la Farlède et si lentement de la Farlède à chez moi.

Insularité, amour des voix, cultures populaires anciennes et sophistiquées, Giuni Russo


Donc, le temps que je tombe raide amoureux des chansons de Giuni Russo un soir de 2004 en faisant ma grande cérémonie annuelle du concours de chanson de San Remo retransmis sur la Rai cinq soirées de suite (une chanson, un verre de rouge et une tranche de saucisson, e anda pe tutta la serata, il m'est arrivé d'annuler tout pour ne pas rater la finale), et crac elle est morte d'une horrible tumeur.

Au fur et à mesure j'ai découvert que c'était une insulaire sicilienne amoureuse d'une sarde du nord (qui parlent la même langue qu'en Corse et ont des tas de cousins en Corse), qu'elle faisait tout au second degré dans le drame tout en restant absolument légère et un peu infantile, plein de choses absolument parallèles aux imaginaires qui m'ont été donnés et que je laisse me poursuivre. C'est fatiguant cette absence totale de hasard dans la vie.

Jusqu'au père qui l'éblouit tous les étés en l'emmenant dans une île où il n'y a plus que le rythme de l'eau, du vent et les sentiments premiers, forcément sublime.

Un sens de la référence à l'histoire et un jeu permanent avec l'écume du monde du moment.

Et puis, et puis, l'homophobie, chose étrange. A 16 ans elle gagne le concours de Castrocaro, un monument des jeunes chanteurs italiens des années 70. On lui donne une marraine, Caterina Caselli (un monument également), et elle ne s'explique pas pourquoi la Caselli a curieuse froideur avec elle. Plus tard, la Caselli, qui s'est mariée avec le propriétaire de la principale maison de disques italienne, qui règne sur la distribution, essaie de l'exploiter et de l'éloigner en même temps (avec un contrat qui se termine par "je ne veux aucun rapport d'aucun type avec vous"), et puis de la casser en mille morceaux.

Avec les subsides de ses trois tubes à un million d'exemplaires, Giuni a quand même pu construire (quelle chance) une maison au village, en Gallura juste en dessous de Porto Vecchio, avec annexe pour la mère de son amie Maria Antonietta. Et depuis, la Maria Antonietta en question se démène comme une diablesse pour organiser un colloque ici, une réédition là, la construction d'une mémoire, un livre avec film et son inédit... que j'ai enfin pu recevoir.

Enfin bref, au village on est qui on est tranquillement dans cette partie du monde, elle aura eu au moins ça pour rattraper les rejets primaires de la Caselli.

lundi 4 janvier 2010

Le péril WASP

Blanc, anglosaxon, protestant (White, AngloSaxon, Protestant).

Comme les Beatles, comme les soldats américains qui sont venus mourir sur des plages normandes pour nous sauver des saxons déboussolés (saxons, pas anglos mais enfin bon quand même).

Mais aussi comme ces cohortes de commerçants insensibles au froid, rompus au refoulement de l'émotion, hollandais (pardon mon hollandais chez qui je me suis tellement ennuyé qu'au bout de quinze jours j'ai renoué sans problème avec le monde latin), scandinaves, allemands, anglais.

Qui aujourd'hui règnent sur l'argent à moins que ce soit l'argent qui règne sur eux, déifient la notion de valeur, qui tuent les sentiments, avec des crises cycliques destructives (ça doit être leur forme d'hystérie à eux, ce n'est ni joyeux ni vivant) dont on ne voit pas bien les cycles, et l'imposent au monde entier, en imaginant parfois que la démocratie va avec. Et ces derniers temps, ils ne savent plus conjuguer leur gestion de l'argent et leur vision de la démocratie.

A ma grande surprise, j'ai bien aimé mes cinq jours new yorkais de fin d'année. Tant de richesses sur une si petite île, Manhattan. Ca me fait réfléchir, miroiter entre eux clichés, représentations, bouts d'histoire, épopées et idées, souvenirs flous et crédos précis.

Mais je me pose des questions, et je reviens aux mêmes réponses identitaires, j'ai même l'impression que ces cinquante dernières années ne m'ont servi qu'à les confirmer.

Je tape ces mots sur des serveurs américains. Tant pis, il est vrai que ce sont les meilleurs serveurs qui soient à ma disposition.

Mais combien de temps faudra-t-il pour que le sens du plaisir, le sens des sentiments, le sens de l'honneur des latins arrive à se conjuguer heureusement avec le sens de la survie, le sens de la négation et le sens de la dignité des WASP ?

Il était clair dès les années 80 que le FMI des néoconservateurs américains était un néocolonialisme caché sous des dehors exclusivement financiers.

Aujourd'hui l'Argentine, saignée à blanc au début des années 2000 par un FMI néoconservateur financièrement colonial, comme l'a été le Chili pour qu'à coups d'épurations sanglantes dans des stades pogroms il devienne un bon élève de leur orthodoxie matérialiste, casse l'agriculture extensive qui donnait des viandes parfaites, accepte tout de Monsanto pour rendre stérile une terre latine par une culture du soja transgénique ultrarentable et sans avenir, et, plus grave, sans beauté de la terre.

On a quand même bien du mal à s'entendre en dehors de l'Europe, et très longtemps on ne s'est pas entendu en Europe, c'était même sanglant souvent. Aujourd'hui les Etats Uniens respectent les français, les espagnols, les italiens... mais pas lorsqu'ils sont américains du sud.

Comme les Barbares ont rompu et dépassé la romanité que j'aime cultiver au fond de moi-même, les WASP, en le regrettant amèrement, continuent à semer une sorte de barbarie qui n'est plus du tout constructive aujourd'hui.

En détournant vingt siècles durant, certainement sans malice, le sens certainement excessif de la famille, de l'incandescence de l'image du père et de la mère que les pays latins conservent (et les français ne sont pas en reste : en politique, il a fallu Napoléon, Pétain, De Gaulle et tant d'image de sauveurs, même si Ségolène a été tout à fait à côté de la plaque dans le rôle de la Madone).

Les dictatures, le goût de la luxure ont été développés par les agences des WASP des Etats Unis pour mettre par terre l'Amérique Latine en l'exploitant. Dont pourtant le climat, dont pourtant l'humanité sont pourtant bien plus vivantes que ce que l'on trouve en Amérique du Nord. Il ne pouvait y avoir de toutes façons que des Anglais, des Allemands, des Scandinaves et des hollandais pour supporter le climat de New York et y faire cette sublime mégalopole où seuls le printemps et l'automne sont vivables (moins vingt et vent coupant l'hiver, quarante humides en été).

Quel dommage de n'avoir pas fait tout ça sous le ciel du sud du Brésil ou de l'Uruguay, ça aurait changé le monde.

Mais c'est trop tard, peut être, enfin peut-être pas, New York sent la fin d'Empire à la vénitienne ces derniers temps.

Et il vient un vent doux égalitaire, aujourd'hui, du Chili (même avec une nouvelle droite, qui semble avoir compris qu'il y a dans la socialdémocratie quelque chose, d'Uruguay, du Brésil, et même du Paraguay qui semblait irrécupérable.

On verra vite ce qu'en fait le péril WASP, peut-être arrivera-t-il à amadouer ses démons, et le fait que les émirats les aient copiés ces derniers temps, avec les mêmes vanités, et les mêmes échecs peut-être passagers, en serait un signe.

J'ai bien retenu de cinq jours de plaisirs à New York, que Montevidéo est un petit New York qui ne s'est pas trop fatigué. Tant mieux.

Et que la différence, c'est qu'à New York, on vient tout juste d'expérimenter la solidarité en matière de santé, que les Universités sont toujours réservées aux jeunes dont les parents et les grands-parents ont réussi à accumuler quelques moyens, et qu'à Montevideo, il y a eu la première vraie Sécurité Sociale du Monde, récemment étendue à tous, et que l'Université y est gratuite pour tout le monde.

Ca m'a toujours semblé être le seul investissement qui rapporte vraiment. Partager la santé de l'autre, partager la pensée avec l'autre. Lentement. Exactement comme le mouvement slow, comme slow food, slow money, etc, qui se développe lentement, mais donc sûrement.

Et vous savez quoi ? Ce sont des New Yorkais qui l'ont inventé, et ce sont des toscans, les plus italiens des italiens, qui le répandent dans le monde.

Comme quoi, tout n'est pas perdu, hein ?

Rappelons nous quand même une chose : aujourd'hui, l'espérance de vie la plus longue, en Europe, c'est en Italie, en France et en Espagne qu'on la trouve. Je souhaite aux anciens barbares avec qui nous vivons en paixs maintenant de vivre aussi longtemps en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, dans les pays scandinaves. On sera encore plus contents d'aller y faire du tourisme !

dimanche 3 janvier 2010

Promenade, fin de journée d'hiver, Brooklyn, une grande île en face de celle de Manhattan


L'agglomération de New York se répand sur trois états, et est estimée à 21 millions de personnes (celle de Paris, 17 millions ou 11 selon les comptes : nous sommes bloqués par nos zones historiques identitaires, qui nous empêchent de compter la répartition naturelle et les circulations réelles de la population; celle de Buenos Aires, de 11 millions à 17 millions selon les comptes). Manhattan fait moins de 2 millions, comme Paris coeur historique, comme Buenos Aires capital federal (ce n'est pas une faute d'orthographe, c'est en espagnol).

Il faut bien reconnaître à New York une capacité : laisser des vies de quartier traqnuilles se développer au coeur des énergies de l'agglomération.

Brooklyn et le Queens, ces dernières années, sont devenus à la fois urbains, vivants, et tout à fait provinciaux. Il n'y a pas que Manhattan.

Trois stations de métros, et hop, des rues comme dans un petite ville anglaise : calme et cafés tranquilles, les gens marchent lentement, d'une église sortent des roux rougeauds endimanchés qui rejoignent leur 4x4 avec leurs femmes et leurs mères laquées, il y a en bas de la rue une tranquille promenade qui offre une vue incroyable sur Manhattan, en face, à dix minutes. Un seul indice trouble cette tranquillité : le vrombissement des hélicoptères comme des mouches qui promènent les touristes sur le sud de Manhattan, qu'on entend d'ici.

C'est pas un peu trop, là ?

Nouvelle année, nouveau monde.
Trouvez moi un endroit où les gens sont gentils, où il fait moins zéro avec vent coupant, où il y a plus d'inégalités que partout ailleurs, où on marche tout le temps parce que le métro n'est pas pratique, il y a plus de grande précarité qu'à Marrakech, toute aussi cachée d'ailleurs avec les mêmes méthodes ?
New York !
Et puis aussi la mythologie, la débauche de tout, une certaine beauté... Times Square ne change pas, je suppose qu'aujourd'hui il y a la même chose à Ginza à Tokyo, à Djakarta, à Rio, mais c'est là que ça sonne vrai parce que c'est là que ça a commencé (et qu'on se fait marcher sur les pieds par dix mille personnes qui s'excusent : cent excuses à la minute).