samedi 31 mai 2008

Le dernier brocciu d'Antoine



Ca m'a fait tout drôle. Depuis des temps immémoriaux, Antoine est une sorte de référence, le berger parfait (je pourrais m'étendre sur le sujet : très mal considérés par leur famille au village, ils ont été revalorisés et mythifiés par les pinzutti - rappelons qu'il s'agit de corses mixés élevés sur le continent, comme moi, les nationalistes et les écolos. Mais ils ont toujours la vie un peu dure...).
Mon frère est monté faire les fromages avec lui au col de Calazzu où il avait la casette, etc, etc ...

Il a maintenant 78 ans. Ses chèvres (blanches) contribuent à faire de Balogna ce qu'il est (elles ont toujours eu un goût spécial pour divaguer et manger les hortensias, servir de support à tous les conflits possibles...).

La semaine dernière, coup de fil de sa femme, Francette : "ça y est, les chèvres, elles sont parties". Pire que de la science fiction : les balognais devront trouver d'autres sujets de discorde. Vendues, les chèvres !

Et je n'ai mesuré les conséquences que le lendemain : "tiens, je t'ai fait un gros brocciu, puisque c'est le dernier".

Je suis rentré aux Tre Funtane assommé. J'ai posé le brocciu sur le rebord de la terrasse, et je l'ai photographié. Après, je l'ai entreposé dans le frigo. Pas touché, mis dans un beau sac froid, je lui ai fait prendre le bateau (il a dormi avec moi dans la cabine, on ne sait jamais), maintenant, je l'ai installé dans le frigo de Toulon. Quand je passe devant, j'ouvre la porte et je le regarde.

Maintenant il va falloir agir : qu'est ce que je fais ? Un fiadone ? Une omelette au brocciu ? Les deux ?

On a toujours un peu raillé Antoine sur le fromage et les charcuteries (trop de sel, toutes sortes de remarques, quoi), mais jamais sur le brocciu. Bref une autre époque commence. Il lui reste le jardin, les poules et les châtaignes (et j'ai ramené six oeufs aussi).

vendredi 16 mai 2008

Dix heures en apesanteur


Une journée comme une apparition divine. Je ne connaissais pas les cinque terre, j'avais un peu peur que ce soit dévoyé (c'est le sentier de randonnée le plus populaire d'Italie, qui relie les cinq villages desservis par route depuis 1986 : avant, train et bateau suffisaient).
Départ de la Spezia à 10 heures, arrivée à Monterosso (au fond sur la première photo, ce n'est pas rosso du tout) un quart d'heure après en train.
Joli, Monterosso, mais bon, un peu trop Alpes Maritimes à mon goût, le charme en plus.
Au bout d'une heure et demi de montée et descente vertigineuse au milieu des vignes et des jardins où dévalent torrents et ruisseaux, arrivée à Vernazza. Sublime bien que ce soit une sorte de joyau touristique. Peut être finirai je là, dan sun petit deux pièces bruyant avec une petite terrasse pour regarder les allemands randonneurs manger des glaces (et les tempêtes, l'hiver).

Encore une heure et demi dans les vignes, montées, descentes, passage dans un hameau gentiment désolé avec un bar bab endormi.
Pour vendanger, tout un système de rails à crémaillère circule en cercles d'une restanque à l'autre. Y circule une sorte de petit train qu'on voit sur la petite photo.
Et on arrive à Corniglia.
Là, c'est mon village préféré des cinque terre.
Un gros bourg curieusement élégant, apparemment pauvre, mauvais caractère, rural, mais alors vraiment rural (les habitants refusent toute construction d'hôtel et organisent des procès qu'ils gagnent à tout bout de champ).
C'est le premier sur la photo ci-dessous.
Là, ça fait trois heures qu'on marche entre ciel et terre.



Arrêt sur de petites places cachées dans Corniglia, serveuse marocaine et francophone, ambiances tout à fait urbaines et éternelles.
Vient alors une heure à peu près à plat le long de la pente jusqu'au quatrième village, Manarola.
Manarola est au fond, derrière Corniglia.
Le chemin n'est plus beau, mais nettement moins fatiguant, et la végétation dégouline quand même de partout. On croise des installations pour chats (organisées par le Parco Nazionale. Avec un certain humour : petites tentes à leur taille, panneaux : donnez à manger à ces pauvres chats sans toits et sans amour... on a croisé le cousin italien de Abar : à vue de nez il doit être de Corniglia, et à mon avis, l'amour et les toits, il s'en tape tant que la croquette va)



A Manarola, on sent la grande ville pas loin : tout prend une grande taille, les restos sont sophistiqués, les gens habillés. Après Manarola, vingt minutes d'une promenade presque métropolitaine, absolument magnifique. Tout ça est stupéfiant, il n'y a qu'à voir ma tête.

A Manarola, tout est propre, il y a de jolies pelouses herbues donnant sur l'infini marin, et les chats ont une autre vie que le cousin d'Abar. Ils ont des tables juste pour eux sur leurs terrasses privées.

La Via dell'Amore est donc très urbaine et démarre juste après Manarola. L'impression de suspension dans une autre monde est complète. La vie urbaine italienne reprend ses droits : vieilles dames polies, couples avec poussettes, non-chalance et conversations faciles.
Comme c'est l'heure de l'amour et de l'apéro, il y a la terrasse la plus suspendue du monde pour boire deux verres de Prosecco (enfin, un chacun) pour dire des choses éternelles baignées du changement de lumière de la mer dans la progression de l'après midi vers la soirée.


Après vingt minutes de passeggiata urbaine dans la roche, on arrive à Riomaggiore. Dernier village (ou premier en arrivant de la Spezia, il vaut mieux commencer par l'autre bout). Une grande avenue qui glisse d'un coup dans la mer, avec des passages en tunnel.
Là, pas la peine d'aller dans le resto gastronomique que recommandent les guides.
Nous avons mangé sur la toute petite terrasse que l'on aperçoit suspendue au dessus de la mer. Ce n'est pas un restaurant. Mais il y a du risotto aux fruits de mer (et comme le dit clairement la serveuse, è dalla Findus). Musique parfaite et pas trop fort (jamais je n'avais autant apprécié Fabrizio de Andrè), tous seuls avec vue sur toutes les montagnes marines des cinq terres, une bouteille de blanc de l'endroit, on est rentré en train en rigolant, dix minutes plus tard, la Spezia, et le My one Hotel très agréable sur la colline avec un très très très bon rapport qualité prix (65 % de réduction en réservant sur Venere).


Un passage au paradis, donc. Mais le mieux c'est peut-être la Spezia. La ville d'Italie dont tout le monde dit qu'elle est atroce. Tant mieux, pas de touristes. Elle est pleine de cicatrices grises, un arsenal d'un côté, un horrible port de commerce de l'autre. Mais, entre les deux, une parfaite ville italienne, et même italianissime. Tout le monde dans la rue en famille, les gnomes, les bellâtres, et les places avec l'apéro du soir, les enfants qui crient sur leurs vélos en plastique, les parents qui hurlent qu'il faut rester silencieux et se taire.
Des bars avec deux cent jeunes dans la rue babillant le verre à la main sous des affiches "ne dérangez surtout pas le voisinage".
En plus tout ça ne se voit pas du premier coup d'oeil, il faut laisser la ville venir à soi, constater qu'il y règne une gentillesse un peu lourde.
Et puis, qui aurait osé faire ce concentré d'architecture historique contradictoire, élégante et joyeuse ?

jeudi 15 mai 2008

Deuxième semaine du maire fasciste de Rome : attaquer la Gay Pride

Très classique, très 1936/1939, la prise du pouvoir du maire fasciste de Rome. Après l'attaque contre l'architecture contemporaine, il s'en prend à la Gay Pride.
Curieusement, tiens tiens, une série d'agressions physiques homophobes s'est produite dans les deux semaines qui viennent de suivre son élection !
Pour comprendre la situation romaine actuelle, mieux vaut avoir vécu soit entre 1936 et 1956, ou dans une ville à municipalité d'extrême droite (délicieux privilège réservé en Europe à : Toulon, Orange, Marignane, Vitrolles, et maintenant Rome).
Sinon on trouve ça bizarre, théâtral ou pas clair, c'est telloement loin de la réalité de la bonne conscience social-démocrate dans laquelle nous avons été élevés...
Les coups de poing dans la gueule des agressions homophobes de la semaine dernière sont pourtant d'une grande clarté.
Car on oublie qu'il y a à l'extrême droite de vrais politiciens (surtout en Italie), une idéologie applicable et soutenue par une large partie de la population (si ce n'est une partie intime de chacun...).
Donc Alemanno pose le problème de l'interdiction de la Gay Pride.
Mais il est bon politicien (meilleur que le Pen et le Chevallier, d'ailleurs).
Et l'argumentation qu'il donne, figurez vous que je suis complètement d'accord avec elle.
C'est celle d'une partie de la gauche arc-en-ciel depuis des années, et je la partage.
Donc me voici d'accord avec un maire fasciste dont l'apparition lâche les nervis contre les gens comme moi dans la rue.
Il demande, comme son ennemie la gauche arc-en-ciel, à séparer le carnaval sexuel (qui me gêne, moi aussi) de la manifestation pour les droits et la visibilité.
Une seule différence : il veut interdire la première, et autoriser la seconde.
Là, nous différons légèrement : mais effectivement et comme la gauche arc en ciel italienne, je trouve qu'elle ne doit être imposée à personne, et surtout pas aux mineurs et aux personnes à identité sexuelle fragile...
En Europe, on n'et pas sortis de l'auberge.

lundi 12 mai 2008

1979 : comme la mode a changé en 29 ans


Strasbourg, 1979 : j'avais 21 ans, insulaire mental orphelin d'Ajaccio bien entouré mais perdu au coeur du continent.
Je ne sais pas pourquoi on avait transformé les cours en carnaval.
Mais oui, c'est moi, et ce joli chapeau c'était mon short de tennis (il fallait bien l'utiliser au moins une fois). Avec ces lunettes là, tout à fait mode à l'époque, j'avais du mal à sourire (elles me mangeaient les joues).

vendredi 9 mai 2008

Souvenirs, souvenirs : place d'armes, à Luxembourg


Cet endroit a été ma bouffée d'air frais imaginaire pendant trois ans.
Même quand on a un frère marié avec une alsacienne, on vit mal une arrivée dans l'est à dix huit ans, et d'être confiné à Strasbourg, surtout après dix ans d'aller-retours incessants Ajaccio/Paris/Ajaccio, à ne plus savoir le matin si on est à Paris ou à Ajaccio. Du coup, d'ailleurs, tous mes réveils étaient à Ajaccio, je retombais sur le sol réel du jour un quart d'heure après le premier café.
Une des grandes colères de ma mère illustre bien cette ubiquité familiale : un grand matin de désespoir à Ajaccio, elle avait hurlé "j'en ai tellement assez que je vais me finir par me jeter dans la Seine" : rassurés, nous avions pu aller tranquillement à la plage sans trop d'inquiétude, puisque le temps qu'elle aille sur les bords de Seine, toutes les interventions de sécurité étaient possibles, et il était absolument impensable de se jeter dans le plus beau golfe du monde, qui n'en donne absolument pas envie.
Bref, merci Janine, pendant nos week end dans cette principauté hollywoodienne qu'était Luxembourg, se réfugier avec tous les tialiens du coin qui sont rassemblés sur la place d'armes, décor latin au centre de l'europe et porte d'un est bien froid et inquiétant, ça m'a coloré la vie et gratouillé les racines profondes.

dimanche 4 mai 2008

1979, notre appartement rue d'Upsal


Quelle merveille que de retrouver réellement les personnes qui avec qui on a partagé des moments. Avec Janine T., nous avions un appartement dans un quartier très improbable de Strasbourg, nous avons voyagé, parlé, écrit, et aujourd'hui, nous parlons, écrivons. Elle m'envoie de Luxembourg cette photo de notre cuisine, sous le peignoir, c'est moi, je faisais une inhalation (je continue). Nos vies parallèles sont toujours marquées par la Méditerranée et les insularités : à l'époque, nous ne nous en rendions pas compte, nous le vivions directement, en Italie, en Israel, au Luxembourg, avec nos amis libanais et italiens...

vendredi 2 mai 2008

Une adresse pour dire tout le mal que vous pensez de la deuxième ville fasciste depuis 1945

Au cas où vous ne le sauriez pas, Rome vient de se doter d'un maire néo-fasciste, et c'est la seconde ville après Toulon, en Europe, à élire un maire d'extrême droite depuis 1945.
D'accord, il y a bien d'autres dangers sur terre et tout s'explique rationnellement.
Raison de plus pour expliquer tranquillement et rationnellement tout ce qu'il faut expliquer.
De très nombreuses pages du site de la ville de Rome sont actuellement suspendues et il n'y a plus que le mail du webmaster qui y subsiste, il n'y est pour rien, mais c'est son métier de transmettre les messages.
Moi, j'ai écrit : "je comprends que le souci de rendre la vie plus sûre et protéger les faibles soit l'une des raisons de l'élection d'un maire fasciste. Mais c'est une erreur humaine, comme beaucoup d'erreurs, meurtrière à terme. Il signore Alemanno doit pouvoir réfléchir au crépuscule qu'il fait tomber sur Rome, et de Rome sur l'Europe. Je n'irai plus à Rome tant qu'un conseil municipal d'extrême droite y propagera le refus de l'altérité et manipulera les peurs des pauvres gens et leur exploitation."
Je sais, c'est ridicule, mais vous pouvez aussi écrire : webmaster@comune.roma.it