dimanche 12 octobre 2008

Ravioli et haute civilisation baroque post-moderne identitaire



Voilà : comme tous les huit mois, j'ai passé une partie non négligeable du week end à faire des raviolis.
On porte dans le sang des siècles d'histoire, c'est comme ça.
Disons d'abord : une bonne heure et demi de conception et première étape de fabrication de la pâte. Souple, mais pas trop, pas trop collant mais bien frais, rechercher la couleur parfaite, tirer sur le jaune mais juste pour donner la sensation d'un velouté farineux d'une carnation quasi dermatique. La bonne dose de jaune d'oeuf, la bonne huile, la bonne farine,
Une bonne demi heure pour les conditions de repos et de préséchage.
Le bon saupoudrage de farine (avec le tamis adapté, je conseille les turinois).
Souple, ferme avec un rien de gélatineux solide : c'est impossible à décrire, mais les spécialistes comprendront.
Ensuite, bien deux heures pour les farces.
C'est là qu'on sent si on aime sa civilisation d'origine ou pas.
Si j'avais un grand père suédois, hop du fromage chaud et une couche de salami immonde, un coup de sureau et c'est fait pour la cuisine identitaire.
Ouf, enfin une chose à laquelle j'ai échappé.
Bref, au moment de la conception des farces, se développe le patrimoine historique personnel. Autant dire, j'aime le mien.
Ce week end, j'ai opté pour une aventure double :
- des raviolis fusion nouvelle cuisine,
- des raviolis haute tradition.
On rentre là dans un phénomène complexe qui peut en un instant ravager l'ensemble de la cuisine.
Il y a le coin des herbes : persil frais, sauge, myrte en ce qui me concerne, au minimum. Ail pour le tout. Intense réflexion sur les dosages et test.
Ensuite, on passe aux choses consistantes.
Quoiqu'il arrive, il faut du pain trempé et essoré (l'essorage est fondamental pour les consistances finales).
Donc, on se résume : le coin de la pâte est couvert de farine, de torchons divers et de boules à des états divers selon les besoins finaux. Le coin des herbes n'est pas mal non plus.
Voici maintenant la partie hachages, moulinages, dosages et pétrissages : mélange de viandes, jambons et lards avec tout le reste.
La partie "fusion" a nécesité ce week end un atelier supplémentaire : saumon fumé, crème fraîches, recherche d'une consistance qui se tienne tout en gardant le fluide du frais.
Une bonne heure et demi pour la farce.
Une partie reste fraîche, l'autre doit être précuite, d'où diverses cuissons, poêlage pour les viandes, bains marie pour 10 grammes de certains autres éléments.
Et s'ensuite le mélange du cuit et du cru.
Enfin, dans une dernière partie de l'espace de travail, la presse à pâte et les formes.
Compter une bonne demi heure d'équilibrisme : une main sur la manivelle, une autre pour nourrir la machine, la troisième pour recevoir et allonger les abaisses (le geste est fondamental, le bon étirage est lui aussi une condition sine qua non de la réussite finale).
Dernières étapes : moulage. Un coup ça colle, un coup ça se détache trop. Poser les abaisses sur les formes, elles doivent être absolument régulières, sinon il y a des trous et tout s'écroule.
Puis tassage, et découpage. Très dangeureux et aléatoire.
Fondamental également.
Vous remarquerez qu'environ déjà cinq heures sont passées.
Mais apparaît le premier plaisir d'apparition de l'oeuvre.
Les raviolis sont la persistance éternelle de l'esprit baroque latin dans la cuisine.
Tout y est complexe, parfait, charnel, et surtout, tout repose sur l'idée de moulure décorative.
Et on sent le risque jusqu'à la fin.
La moindre erreur et à la première minute de cuisson tout part en vrille en bouillie sale au fond de la casserole bouillante, et rien n'est rattrapable, tout est à jeter.
Ce week-end, j'ai réussi mes deux types de raviolis : au bout d'une minute et demi penché dans les fumées et vapeurs, ils sont remontés des entrailles de l'enfer avec la consistance la plus parfaite sous le couteau, les goûts frais et cuits parfaitement équilibrés.
Par contre je suis toujours aussi nul en ce qui concerne les moulures.
C'est que je ne dois pas être aussi baroque qu'on le dit.

5 commentaires:

FunPv a dit…

Impressionnant!
Il n'y a pas d'autre mot.
Non seulement je découvre que tu hisses le ravioli à la hauteur d'une oeuvre d'art identitaire. Mais cette description dégage lyrisme, et plus que tout un grand sérieux.
Je t'imagine concentré , guettant avec angoisse la remontée à la surface du ravioli posé avec crainte et amour dans sa casserole d'eau.
Toute fois une question reste mystérieuse; pourquoi tous les huit mois?
"Voilà : comme tous les huit mois..." écris tu...Pourquoi tous les huit mois est-ce un rite lié à la lune, un cycle biologique mystérieux?
Un défi maçonique peut être?
En tout cas c'est décidé , ce week end je me mets au couscous

Anonyme a dit…

C'est quoi ces préjugés sur la gastronomie suédoise? on voit que tu n'as pas goûté le filet d'élan aux baies polaires! Les becs fins sont partout,n'en déplaise à ta latinité exacerbée. Meffi, on ne sait pas où peut finir le nationalisme culinaire ....

Danielinu a dit…

Je suis bien d'accord, cher anonyme, les identités peuvent être meurtrières, je serais heureux de trouver des suédois qui s'investissent pour essayer de faire dans l'excellence et que nous goutions nos comparaisons dans le plaisir. Ceci dit, ça me rapelle quand des hollandais m'ont rvélé que la cuisine hollandaise était... enfin quoi différente somme toute, mais pas bonne pour autant. Ils me l'ont prouvé en quinze jours, et après, ils m'ont fait essayer un resto indonésien, et bien, c'est très bon, la bonne cusine indonésienne. Par contre je n'ai toujours pas trouvé de bonne cuisine hollandaise, mais il y a des hollandais tout à fait intéressants.

Karidwenn a dit…

ah ben, t'as pas eu de chance avec ces hollandais-là! j'ai séjourné dans une ferme en Frise -il y a fort longtemps- et si la cuisine n'était pas très sophistiquée, elle était néanmoins très bonne, bien que ... différente: les harengs au petit déjeuner, même pochés à coeur et fumés à la maison avec du vrai bois d'arbre, c'est une autre culture, mais il faut bien ça avant de monter sur le tracteur.. Chez certains de nos voisins européens proches, le simple fait de penser qu'on puisse manger du cheval ou du lapin leur donne des hauts de coeur. Manger des animaux de compagnie, pour les britanniques, c'est quasiment du cannibalisme. Et je ne parle même pas des tripoux au cidre...

Danielinu a dit…

aaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhh les tripoux au cidre...