jeudi 13 décembre 2007

Irrédentisme : un gros mot, ou l'apparition des propagandes nationalistes dans un salon littéraire de Dominique



"Durant les années 1920-1939, les autonomistes corses se regroupent autour de l’hebdomadaire A Muvra dirigé par Petru Rocca. Leur mouvement corsiste défend l’idée que " la Corse n’est pas un département français, c’est une Nation vaincue qui doit renaître ". Ils exaltent la langue corse, l’histoire de l’île avant la conquête française, et rappellent tout ce qui caractérise l’identité corse, notamment ses rapports avec la péninsule italienne. Leur combat se heurte à la politique jacobine des gouvernements français de la IIIe République qui ne laisse aucune place aux particularismes locaux. À la même époque, l’Italie fasciste développe, insidieusement puis publiquement à partir de 1938, une politique irrédentiste prônant le rattachement de la Corse au Royaume italien. À cette fin, la propagande mussolinienne met en avant les liens historiques et linguistiques existants entre les deux populations. Une confusion entre corsisme et irrédentisme est entretenue tant par les propagandistes italiens que par les anti-autonomistes français."

Voilà la présentation que font les Bibliothèques de Lyon du livre de Jean Pierre Poli qui pour la première fois raconte ce qui est arrivé aux rédacteurs de la revue littéraire et politique "A Muvra", un étrange secret de polichinelle bien gardé en Corse, tabou en France et connu en Italie, car ils ont créé le premier parti autonomiste et enclanché une logique historique. J'attendais ce livre depuis des années.

Car, au moment où les nazis ont fait à Paris l'exposition sur "le Juif", les fascistes, qui occupaient la Corse (ainsi que l'Illyrie), les fascistes ont fait la "Mostra dell'italianità della Corsica" en Corse qui brûle encore la tête des vieux.

Et, au XVIIIème siècle, les corses disaient : "l'Italie s'en va, et la France n'arrive pas".

Elle est restée, s'est mélangée sans jamais vraiment arriver.

Pas même dans la tête des pinzutti comme moi (rappelons la définition du pinzuttu : ce n'est pas un touriste, c'est un demi corse élevé sur le continent).

Bref, j'ai engendré chez Dominique une chaude bataille sans pour autant arriver à une dicussion informée en décidant bêtement de parler d'un livre qui n'intéressait pas notre audimat de salon de ce soir là !

Mais ce qui m'a frappé, c'est qu'un ensemble d'intellos délicats, sensibles et avides de connaître se sont hystérisés instantanément sur le sujet.

Il y a même eu une de mes écrivaines préférées que je ne connaissais pas comme fan du box-office pour dire "de toute façon, combien de personnes lisent ça !", je crois bien que j'ai été surpris : ce n'est pas du tout son genre d'argument d'habitude.

Et parmi toutes ces personnes intéressées par la réflexion, la politique et la connaissance, le terme "irrédentiste" n'a provoqué que la remarque suivante "quel horrible mot" !

Pour approcher une compréhension politique sur les îles de méditerranée et la côte dalmate, il faut malheureusement bien s'intéresser à deux fondamentaux de l'histoire italienne dont l'étude fait trembler l'idée de frontière, l'idée de nation et même la simple idée de "peuple" : l'irrédentisme et le risorgimento.

Mais ce n'est pas mon sujet, puiqu'il ne peut être abordé qu'entre spécialistes ou italianistes et corses, mon sujet, c'est : comment un sujet devient un non-sujet, provoque l'apparition de clichés violents et pour tout dire un peu superficiels et barbares.

En écoutant mes amis dans ce salon littéraire, m'est remontée une réflexion de l'ancien maire de mon village : "faire monter le racisme aide à créer une nation". Balogna est la seule et unique municipalité nationaliste de Corse (lui n'y était qu'allié à l'époque)... et il y a quelques spécialistes de la question dans la région, et même la famille Colonna, qui ce soir ressent des choses liées à ce qu'a ressenti la famille d'un préfet assassiné...

Stopper les guerres est une affaire de diplomates. Arrêter les conflits est une affaire d'intellectuels. Les hommes d'action ne le peuvent pas seuls.

Les propagandes nationalistes française, corse et italienne se sont donc maturées (je trouve que c'est plutôt de l'ordre de la macération !) jusqu'à faire apparaître aux yeux d'intellectuels des clichés suffisemment racistes et violents pour arrêter toute réflexion et engendrer des réactions faussées par des nationalismes qui pourtant sont à leur opposé !

Plus je me passionne pour l'histoire politique européenne, plus je suis fasciné par la persistance et l'inanité de l'idée qu'un peuple, c'est aussi une langue et un territoire ethniquement pur. La France est d'ailleurs malade de cet aspect de son universalisme, bien mis à mal.

Allez, au prochain salon littéraire, je présente la biographie maçonnique de Garibaldi, avec ses aventures en Italie, en Argentine et en Uruguay.

Oui, Garibaldi, celui des rues Garibaldi, le fondateur de l'unité italienne.

Parce que vous savez quoi ? Il était niçois. Imaginez que de Gaulle ait été allemand ...! Et devinez quoi encore ? Il est mort dans une petite maison sur une des îles de l'archipel toscan. Ses fenêtres donnaient sur ... les côtes corses, que l'on voit très bien (elles sont distantes de 30 km). Il a d'ailleurs écrit un peu là dessus.

Qu'on ne m'en veuille pas donc si les "marches" des pays européens me passionnent, et surtout la mienne, insulaire. Car si la Corse était italienne, ne l'est plus, n'est pas devenue française et pas totalement corse non plus, un drame culturel et humain des années 40 peut donner une idée de l'émotion et de l'intérêt que cela me suscite.

Plus personne ne parle d'un grand poète corse reconnu à l'époque. A 80 ans, invité par les irrédentistes à Rome, il a été reçu en héros par la foule fasciste et Mussolini en personne. Puis il est mort, trois mois après, dans le palais Toscan que lui avait offert le régime.

Les manipulations des propagandes successives font que ce poète reconnu à l'époque a totalement disparu de l'histoire pour des cérémoniaux qui n'ont rien à voir avec la littérature. Son nom même a presque disparu.

Il n'est pas près de réapparaître, sauf peut-être pour des passionnés des détails de l'histoire.

C'est en partageant une réflexion et en prenant une distance des images que l'on parvient à limiter les conséquences des barbaries humaines. Je le crois toujours. Alors, je vais continuer !

2 commentaires:

Cath'rine a dit…

Que je regrette de ne pas avoir été là ! Ne serait-ce que pour mieux comprendre les enjeux d'une telle hystérie collective et voir si je peux être capable de ne pas subir la collective hystérie...
Quoiqu'il en soit, je ne comprends pas tout dans le livre que tu proposais ce soir là...quelles sont les réflexes conditionnés qui sont alors apparus ?

Danielinu a dit…

Il me semble que ce sont les réflexes liés à la lutte politique la plus fondamentales : les clichés que l'on se donne pour nommer et séparer les cultures, et qui parfois transforment le réel (les anglaises sont rousses et les rousses puent, les belges sont idiots, etc...). Ils deviennent aveuglants car ils servent à dessiner les frontières.